Open for Play
ZOO Galerie
Nantes (France)
March 19th—April 23rd, 2005
Avec Open For Play, Delphine Coindet effectue un discret rappel de la terminologie anglo-saxonne pour le mot exposition : un show. Ce titre, appuyé par l’image aguicheuse du carton d’invitation, suggère que l’exclamation « Showtime ! », généralement soulignée par un geste ample et enthousiaste, trouvera cette fois-ci à s’appliquer avec tact. Et en effet, dans cette exposition (ce show), il sera question de scène et de détails spectaculaires, de surprise et de désillusion, d’impact visuel et de dévoilement progressif. Delphine Coindet désigne ici les conventions scéniques, qu’elles soient spatiales ou accessoiristes, comme l’indice parcourant la totalité du display sculptural qu’elle a conçu pour la Zoogalerie. Familière de cette utilisation des codes de l’artifice, qu’elle manipule comme une structure quasiment algorythmique, elle se livre ici à un jeu de la séduction tout en contrastes et nuances, volontiers provocant, puis dissimulateur, et à nouveau enjôleur.
Ce mouvement d’alternance entre des stratégies frontales et des manœuvres plus suggestives est d’ailleurs présent dans toute sa méthode sculpturale, qui combine des matériologies excentriques et des factures ultra précises, des éléments abstraits de synthèse et des objets choisis pour leurs forces symboliques, des dispositifs d’envergure environnementale et des multiples plus domesticables. Ainsi, l’exposition s’ouvre sur une forme chromée de taille moyenne, un cube qu’on dirait accidenté au laser et sur lequel un boa en plumes de couleurs vives est simplement posé. Le fait qu’un cube aussi sérieux, peut-être même macho, s’affuble d’un accessoire de cabaret, à la manière d’une showgirl aux jambes fardées, constitue un pitch efficace et humoristique pour le début de la scène qui va se jouer dans la Zoogalerie. Mais ce mariage contre-nature est aussi une métaphore directive de la rencontre entre performance et sculpture organisée par l’artiste. Une rencontre qui implique le spectateur, faisant de lui un élément performateur de l’exposition, puisqu’il est contraint de traverser un voilage légèrement transparent afin de découvrir tout à fait l’autre partie de l’exposition. Dissimulateur et décoratif, en retrait et « en trop », fonctionnel et maniériste, le rideau est aussi l’objet scénique par excellence. Parce qu’il marque la distance entre le spectateur et le performeur, il symbolise un interdit, celui de pénétrer l’espace scénique, que Delphine Coindet incite à transgresser.
De l’autre côté du voilage, une série de petites sphères sont disposées au sol. Contredisant le dogme minimaliste qui proscrit toute stratégie de recouvrement ou de décoration en faveur de l’expression du ‘réel’ du matériau, ces sphères sont laquées d’un motif évoquant des grelots. ‘Maquillées’ en une effigie de la sonorité musicale, elles fonctionnent ainsi comme des leurres visuels, selon une dialectique de l’apparence et du travestissement qui traverse l’intégralité du dispositif d’Open For Play. Grelots, voilage et boa sont ici comme autant d’accessoires de séduction féminine et saloméene, mais traités avec la distance déréalisante induite par le caractère virtuel des formes synthétiques de Delphine Coindet. À l’instar de l’image réversible du carton d’invitation, la vision de l’exposition est désormais inversée, et c’est au travers de la semi-transparence du rideau que se dévoile le cube accoutré qui ouvrait la danse. Ce retournement joue sur l’action minime du spectateur passant d’un espace à l’autre, à la fois actif et habilement dirigé. C’est l’extrême simplicité de cette opération qui constitue en soi une sorte de stratagème de l’artiste, une ruse discrète et silencieuse, témoignages de la dextérité tactique indispensable à qui veut s’adonner aux plaisirs de la facticité et au jeu.
Lili Reynaud Dewar